MINA no

News Sud - Oct. 2022

News du Pérou, par Danielle Meunier, bénévole au Pérou

En septembre au Pérou, arrivent le printemps et le réchauffement de la température. Il n’y a plus de gel, le froid de la nuit est de 4°. Nous avons eu trois nuits de pluies à Cusco, mais on ne peut pas encore parler de saison des pluies. La saison des semailles commence.

Ce mois-ci, je vous tiens au courant de la poursuite du combat contre le projet minier, dans les communautés andines de Yanamayo et Qelqanqa (voir les news de septembre et les vidéos ci-jointes).  Et en deuxième partie, un coup d’œil sur la situation politique au Pérou.

La lutte contre la concession minière dans les communautés de Yanamayo et Qelqanqa.

Le 11 septembre, a eu lieu la réunion interne de la Central de Ronda campesina de Ollantaytambo, avec la présence des bases de 13 communautés. Il a été décidé d’organiser le 26 septembre une grande marche pacifique « Oui à la vie, non à la mine », précédée d’une conférence de presse le 22 pour diffuser l’annonce aux journalistes de Cusco.

Le Ministère de la Culture est venu pour expliquer les droits des communautés. Une autre formation est prévue au sujet de la convention 169 de l’OIT, qui reconnaît mondialement les droits « consuétudinaires » des peuples originaires. Tout en rappelant que les Droits humains s’appliquent à toute personne, cette convention reconnaît les particularités culturelles des peuples et des communautés en matière de droits et donc, dans ce cas-ci, leur relation particulière avec la terre et le territoire.

Actuellement, nous nous organisons pour convoquer l’entreprise de la concession minière à la consultation préalable avec les communautés, qui n’a pas encore eu lieu. Ce moment important – qui est une exigence légale – permettra aux communautés d’exprimer leur refus catégorique de la mine.

Dans les prochaines semaines, j’organise, avec le géographe qui nous aide, une visite de chaque communauté alto-andine concernée pour avoir tous les documents nécessaires et effectuer en 2023 la géoréférenciation du territoire de 13 communautés avec le gouvernement régional. Sur base des documents communaux et avant la fin de l’année, nous écrirons la sollicitude aux autorités du gouvernement régional. La précision des limites communales est nécessaire pour empêcher toute entrée d’entreprises privées menaçantes.

 

Politique toujours aussi hallucinante au Pérou… avec compléments d’infos pour ceux qui ne s’y retrouveraient pas

On peut être surpris du contraste entre d’une part la maturité politique des communautés indigènes, avec leur capacité à dialoguer et à décider ensemble pour le bien de tous, et d’autre part les nombreux dysfonctionnements de la « démocratie représentative » péruvienne, où abondent corruption, collusions et coup fourrés.

Elue en juillet 2022 pour un an, la présidente du congrès Lady Camones est restée en place seulement 40 jours. Des enregistrements audio la révèlent en conversation avec son chef de parti, qui lui demande de prioriser un projet de loi concernant la région où il cherche à être élu. Une motion de censure la relève de sa fonction. Elle est remplacée par un soutien du clan Fujimori, le général assassin, Jose Williams Zapata…

En 1975, sous le commandement de celui-ci, 79 femmes, enfants et paysans de la communauté de Acomarca à Ayacucho ont été tués. Pendant les années de la terreur, dans le cadre des opérations militaires contre le Sentier Lumineux, le dictateur Fujimori et son conseiller Montesinos se sont en réalité organisés pour vider les campagnes et donner des terres aux entreprises néolibérales.

Par ailleurs, en août dernier, Antauro Humala, autre responsable politique, est sorti de prison après 17 ans. Il soulève un grand espoir dans une partie de la population.

Dans le passé, cet officier et son frère Ollanta se sont soulevés, avec d’autres réservistes et vétérans, contre le gouvernement dictatorial de Fujimori et les hauts responsables militaires corrompus. Lors de sa dernière action (le soulèvement appelé andayhualazo, du nom de la ville où il s’est produit), quatre militaires fidèles au régime sont morts. Antauro Humala en a été jugé responsable. En 2015, une expertise balistique a tout remis en question. Le travail de ses avocats vient d’aboutir à sa libération.

Le président en exercice à l’époque de sa condamnation était Alejandro Toledo, actuellement jugé aux USA pour multiples corruptions, ce qui donne une idée des méthodes de son gouvernement.

Antauro Humala  représente la « troisième voie », la voie ethnique, antifasciste, anticapitaliste, anticommuniste, une radicalité centrée sur les valeurs et la défense des « cuivrés » : les communautés et donc les plus pauvres. Cette voie, nommée « etnonacionalismo » ou « etnocacerismo », a été définie avec son père, avocat et ex-militant communiste, et son frère Ollanta, militaire de carrière comme lui.

Ollanta Humala, après la première rébellion militaire, a déposé les armes et est entré en politique, fondant avec son épouse le Parti Nationaliste Péruvien, avec lequel il a conquis la présidence (2011-2016).

De son côté, Antauro a repris son combat armé, jusqu’à l’andayhualazo et son emprisonnement consécutif. Il fait maintenant le tour du Pérou pour rencontrer ses ex-miliciens et les « etnocaceristas » de son futur parti politique.

Pour comprendre certains objectifs de l’etnocacerismo, il faut considérer les traumatismes de l’histoire péruvienne.

Le programme fait référence aux gouvernements de Andrés Avellino Cacéres et de Juan Velasco Alvarado, deux périodes clés séparées par près d’un siècle

Cáceres était président pendant la guerre du Pacifique (1879-1884). Le Chili avait précédemment lancé une première invasion, destinée à empêcher la réunification du Pérou et de la Bolivie en une confédération qui en aurait fait un pays puissant, à forte population indigène. Le capitalisme chilien avait des investissements dans la région littorale de la Bolivie, dont les produits (guano et salpêtre) étaient fort demandés dans l’industrie d’armement et l’agriculture intensive. Les troupes chiliennes furent soutenues discrètement par les anglais…

La guerre permit au Chili de s’agrandir au détriment de la Bolivie, mais aussi du Pérou (Tarapacá et Arica).  

Quant à Velasco Alvarado, il impulsa le Gouvernement révolutionnaire des Forces armées dans les années 70, dans une recherche de stabilité et de justice sociale, avec l’idée que seule l’armée, qui rassemble des éléments de toutes les classes, pouvait être honnêtement au service du peuple.

Pas étonnant, donc, que Antauro Humala vise la réaffirmation de l’identité andine, la création d’un état englobant les anciens territoires de l’Empire inca, et d’abord la transformation du Pérou en un état bilingue Espagnol-Quechua. La récupération des territoires spoliés par le Chili, qu’il appelait autrefois, sera plus difficile à réaliser sans guerre.

Au pouvoir, il organiserait la nationalisation des industries, en commençant par annuler les privatisations récentes. La primauté des industries extractives dans l’économie péruvienne ainsi que le peu de bénéfice qu’en tire le pays ramènent régulièrement ce dossier sur la table, sans effet.

Antauro Humala lutterait implacablement contre le narcotrafic, tout en légalisant la culture de la coca, une position défendue également par l’Equateur.

Il étendrait la peine capitale aux mandataires convaincus de corruption, au motif de trahison envers la patrie, et demanderait son application. Voilà qui ne devrait pas lui attirer les faveurs de la classe politique ; dans diverses affaires dont le « caso Odebrecht, sont poursuivis pour corruption les ex-présidents Toledo, Kuczynski, García (suicidé) et Ollanta Humala.

Les objectifs radicaux de Antauro Humala vont séduire une partie de la population, mais il y a du chemin jusqu’au parlement et à la présidence. Sa condamnation pour assassinat reste effective – affirmer son innocence est une des raisons de sa tournée à travers le pays, certains aspects de son discours vont à l’encontre de la constitution et ses déclarations le démarquent radicalement du reste de la classe gouvernante, qui ne manquera pas de lui mettre des bâtons dans les roues.   

Sa tournée a aussi pour but de lutter contre la présence de Williams Zapata au Congrès, car ce qui se prépare à droite, après des mois d’empêchement systématique face à la politique présidentielle, c’est l’expulsion du Président Castillo (élu démocratiquement avec un peu plus de 50%), mais également un possible coup d´état militaire (de généraux de droite, et non comme dans le passé d’officiers progressistes). Dans ce chaos prémédité, la tâche du gouvernement n’est pas plus facile que l’an passé. Et la gauche péruvienne est sans effet sur la gouvernance.

 

En vivant sur place, voici mon avis sur le retour en politique de Antauro Humala et son écho dans les communautés.

 

Danielle Meunier

 

 

Abonnez-vous à notre newsletter !