« Depuis quelques jours, ça ne parle que de ça. Combien d’infecté.e.s, combien de mort.e.s, combien de pays sont touchés. C’est toujours la même conclusion : « Que triste es ! » On me demande si, dans mon pays, qu’il.elle.s ne connaissent que de nom, le virus est arrivé. Si il y a des mort.e.s. Je réponds que oui, beaucoup, plus qu’ici, plus de mille. Face à ma réponse, la réaction est unanime : je vais rester vivre ici, à Huilloc. Je vais apprendre le quechua, apprendre à tisser. Devenir une vraie femme de la communauté. J’en suis encore loin, avec mes quelques mots de vocabulaire quechua, que je répète en boucle et mon apprentissage du tissage qui en est à son introduction : faire un bracelet. Le confinement a été annoncé pour 15 jours. Rien pourtant ici ne semble changer. On croise toujours les enfants qui jouent dans la rue, les hommes qui travaillent aux champs, les femmes qui tissent. On se passe toujours le verre de chicha. Les jeunes qui étudiaient en ville sont de retour, les familles nombreuses sont au complet. Ca fait plus de bras pour le travail. Plus de bouches à nourrir aussi. Certain.e.s sont persuadé.e.s que le virus n’arrivera pas ici. Il.elle.s sont bien nourri.e.s et résistant.e.s. En Chine, ils ne mangent pas assez, et puis, des animaux bizarres aussi. Certain.e.s s’inquiètent. Plus de touristes, ça veut dire plus d’argent. Heureusement, il y a les champs, il.elle.s auront de quoi se nourrir. Et puis il.elle.s sont bien ici, dans leurs montagnes, l’air est pur et il.elle.s ont toujours de quoi manger. Mais quand même, les touristes, c’est grâce à eux.elles que les gens vivent ici. Certain.e.s manifestent une certaine peur à notre égard. Nous sommes des étrangères, et ce sont bien les étranger.e.s qui l’ont amené ici, ce virus. On nous transfère chez Daniel, le coordinateur, histoire de calmer les peurs, et de nous isoler aussi. Rester à la maison ou au bureau. Ne plus se promener dans le village, ne plus aller parler aux gens. Un confinement, mais rien que pour nous. Me voilà dans la position de ceux.celles qu’on appelle les minorités, ceux.celles qui subissent les discriminations. Faut dire que d’habitude, je suis plutôt du côté des privilégié.e.s, alors ça fait bizarre.
La fille de Daniel, 4 ans, ne parle que de la police depuis quelques jours. Elle en rêve même. Ca l’a marquée, que la police passe, de temps en temps, répéter de rester chez soi. L’armée aussi, armes en main. Mais ici, la vie, ça ne marche pas comme ça. Il faut bien travailler aux champs pour manger. Et aux champs on y va pas seul. On y va ensemble, selon le système de l’AYNI, l’échange. Un jour mon champ, le lendemain le tien, le surlendemain le sien. Et puis les femmes cuisinent ou tissent ensemble, et la vie se passe dehors. C’est une communauté, et on y vit en communauté. Au fur et à mesure, la méfiance envers nous diminue. On leur dit bien, que nous sommes là depuis plus d’un mois, avant que le virus n’arrive. Nous cuisinons avec les femmes, et apportons la nourriture aux champs. Je n’ai jamais épluché autant de patates de ma vie. Nous aidons à la récolte. Avas, lissas. . Notre enrichissons notre vocabulaire de quechua, petit à petit. Nous aidons Carlotta pour ses leçons d’Anglais et elle nous apprend à tisser. C’est toujours l’introduction : le bracelet. Et ce n’est pas encore acquis. Nous accompagnons les enfants ramener les brebis pour la nuit. La vie continue son cours. Malgré les passages de la police, les nouvelles alarmantes et les injonctions permanentes qui passent en boucle à la radio, nous sommes isolé.e.s et l’atmosphère apaisante des montagnes règne. Nous y serons arrachées brusquement. La Belgique va nous rapatrier. Le mardi, on nous annonce que nous quittons la communauté le lendemain matin. Aux ciels noirs étoilés, au silence bruyant de la nature, à la présence imposante et rassurante des montagnes, à la vie simple et extérieure, on nous échange la foule, le bruit, l’atmosphère pesante de la ville malade. Et nous revoilà chez nous, la tête à Huilloc. »
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