Rendre ses lettres de noblesse aux matériaux locaux
Quels impacts dévastateurs ont la mondialisation, le capitalisme, sur ces communautés, ces peuples indigènes ? Ce même questionnement ressort également de notre expérience à Lima ou même dans la région de Manabi en Equateur au lendemain du séisme (magnitude de 7,8) affectant la région. Que cela soit en ville ou dans les campagnes, à un stade plus ou moins avancé, le paysage se transforme. La terre crue, le bambou, le bois de palmier font peu à peu place à la brique et au béton. L’urbanisation gagne du terrain. Les campagnes se vident. Les villes s’étalent. Les profils s’élèvent. L’architecture vernaculaire (1), élément identitaire important propre au territoire, disparaît. Est-ce là le progrès ?
La brique et le béton dominent aujourd’hui le paysage. Ce sont des matériaux réputés dans l’imaginaire collectif comme nobles incarnant la stabilité, la durabilité, la modernité, le développement. Symboles d’une certaine réussite sociale. Aujourd’hui, l’usage de matériaux locaux jouit d’une mauvaise réputation. Les maisons en adobe sont le patrimoine de beaucoup de familles pauvres. Il est important de le souligner, comme l’histoire nous l’a démontré à plusieurs reprises, que le comportement parasismique ne dépend pas uniquement du matériau de construction mais également de sa bonne mise en œuvre, de son dessin. Peut-être observe-t-on actuellement une perte de savoir-faire au niveau des techniques de construction traditionnelles ? Le dessin permet de compenser les faiblesses de tel ou tel matériau. Il y a aujourd’hui, à notre avis, un travail à faire en collaboration avec les communautés locales pour recenser leur savoir-faire, le valoriser et rendre ses lettres de noblesse à la construction parasismique de terre crue, de bambou et de bois.
En Equateur, dans la région de Manabi, les maisons qui ont le mieux résisté au séisme sont celles de palmier et bambou dont la structure et les matériaux plus flexibles ont étés capables d’encaisser les mouvements du terrain. Antisismique et local, incompatibles? Notre réponse serait négative. L’architecture est définie par le Petit Robert comme étant un art de construire
Aujourd’hui, une part importante de matériaux de construction est importée ou nécessite pour leur transformation une importante consommation d’énergie. Pensons plutôt le local avec toujours une visée globale, c’est-à-dire dans ce cas particulier, revenir à construire les maisons avec les ressources disponibles directement sur le terrain aurait donc un impact global assez intéressant : moins d’énergie (transport, transformation, ...) – diminuer le coût du bâtiment – diminuer l’empreinte écologique du secteur de la construction – penser au cycle de vie du matériau à sa recyclabilité. Bref, penser durable !
Nous parlons ici de nos trois expériences en tant qu’architectes volontaires au Pérou et en Equateur, mais pensons que ce constat peut être élargi à la plupart des pays en voie de développement. Malgré nous, occidentaux, incarnons la richesse, le savoir,...
A plusieurs reprises, les personnes que nous rencontrions mettaient l’accent sur ce point : « Vous, vous savez, vous avez étudié là-bas, vous êtes architectes. ». Nous ne savons pas. Tout est très différent de ce que nous connaissons. Qu’avons-nous fait ? Que sommes-nous en train de faire ? N’est-il pas temps de reconnaître notre ignorance? Favoriser le partage, valoriser chaque culture est bien plus enrichissant. nous avons encore beaucoup à apprendre !
(1) Définie, dans le premier volume de Encyclopedia of Vernacular Architecture of the World, vaste somme publiée aux éditions Cambridge University Press, comme étant l'architecture des gens, l'architecture sans architecte, faisant appel aux matériaux disponibles sur place et mettant en œuvre des techniques traditionnelles des édifices selon des proportions et des règles déterminées par leur caractère et leur destination.)
Ces peuples subissent les dégâts du tourisme à différents niveaux: ils sont souvent évincés de leurs terres traditionnelles, sont confrontés à la perte du contrôle des ressources naturelles, à la détérioration de la biodiversité ; à la déchéance sociale ; à la banalisation et à la commercialisation de leur culture. Dépassés, ces peuples souffrent de l’incapacité à absorber un afflux de tourisme grandissant. Leur mode de vie, leur environnement sont menacés.
Les communautés Patacancha, Rumirac, Huilloc, ... appuyées par l’association belge Identité Amérique Indienne sont réellement actrices de leur tourisme. Elles gèrent directement leur accueil, les activités touristiques et la répartition des bénéfices. Il est donc important de les mettre en garde par rapport à toutes ces problématiques, ces questionnements, qui nous ont marquées durant notre séjour dans ces communautés.